J'ai cru que pour soulager la douleur il suffisait de la bâillonner. Qu'en ignorant ma blessure elle finirait par cicatriser. J'ai eu tort. Je saigne encore. J'ai voulu taire mon secret, j'ai tout dissimulé, tout verrouillé. Mais en mystifiant les autres, je me suis menti à moi-même. Et la blessure est toujours là, suintant son poison de honte et de pensées morbides. Dans la rue, il suffit parfois qu'un passant se retourne vers moi pour que j'éprouve un malaise. Ce n'est pas de la timidité, encore moins de l'arrogance, c'est le venin du mensonge. Je suis incapable de me dire : “Tiens, c'est sympa, ça doit être un supporter du Stade Français…” Non, je pense tout de suite que si cet homme me dévisage, c'est qu'il a dû percer l'inavouable, qu'il sait forcément quelque chose. Et le temps qui passe ne change rien à l'affaire. Aujourd'hui, j'ai le rugby, sa lumière, ses bravos. Mais demain, quand j'aurai raccroché mon armure et que je serai nu ? Voilà pourquoi j'ai décidé d'écrire ce livre. Pour crever l'abcès. Pour révéler mon histoire, au risque de choquer ceux qui croyaient si bien me connaître, et dire tout haut ce que j'ai mis tant de soin à cacher tout au long de ma carrière. À trente-cinq ans, l'heure est venue de poser les armes. J'ai besoin de vérité. La vérité vraie. Je vais la livrer crûment, sans fard ni artifice. Je vais l'arracher à la pénombre de mes souvenirs, la poser sur la table et on verra bien ce que ça donne. Tant pis si ça fait mal. J'ai l'habitude. Je suis prêt à serrer les dents. Encore une fois. Une dernière fois.